Coups de cœur littérature janvier 21

Se cacher pour l’hiver
Sarah St Vincent
La Croisée /Delcourt Littérature
Traduction : Éric Moreau
Il y a mille façons de disparaître au coeur de l’hiver, et le printemps toujours retrouve notre trace. On a coutume de dire qu’il y a deux types d’histoires : celle où le héros part en voyage et celle où un étranger arrive en ville. Les derniers touristes se sont envolés depuis longtemps quand, ce jour de décembre 2007, « l’étranger » – Daniil – pousse la porte de l’auberge dans laquelle travaille Kathleen, au coeur du parc naturel.
A son accent et son allure, il n’est à l’évidence pas d’ici, mais Kathleen, qui a choisi ce coin pour son silence, n’est pas du genre à jouer les indiscrètes. A seulement 27 ans, elle est veuve depuis quatre ans déjà, depuis l’accident de voiture qui a coûté la vie à son mari… « L’étranger » dit être un étudiant ouzbek – rien ne le prouve, par contre il semble évident qu’il a peur, qu’il fuit quelque chose, quelqu’un.
Les jours passent, se ressemblent, peu à peu une amitié se noue. Plus Kahtleen apprend des secrets de Daniil (« J’ai trahi »), plus il lui devient impossible de continuer à ignorer les siens. Et, pendant ce temps, le danger se rapproche…
Une atmosphère particulière émane de ce roman noir haletant qui va crescendo jusqu’au dénouement final. Le blog Light & Smell a parfaitement saisi l’essence de cet roman poignant :
« Empreint de pudeur, de poésie et d’une douce mélancolie, voici un roman d’une grande force à l’image d’une femme sur le chemin de la guérison et de la renaissance. Entre amitié, secrets, rédemption, froid mordant de l’hiver et décors somptueux, Se cacher pour l’hiver confrontera les lecteurs à la complexité de l’être humain tout en les baignant dans un halo de lumière, leur rappelant que toute obscurité est destinée à être un jour percée. »

Lunch-box
Emilie de Turckheim
Gallimard
« La lunch-box est une bête pleine d’appétit. Elle grogne, elle n’en a jamais assez. Elle provoque chez la mère une pulsion de remplissage. Tout le vertige vient de la forme de la lunch-box : n’oublions pas que c’est une valise. C’est chaque matin la répétition du grand départ. La mère regarde son enfant s’éloigner de la maison et elle espère qu’il ne lui manquera rien. Ni pain ni amour. » Dans la ville rêvée de Zion Heights, sur la baie du détroit de Long Island, un petit monde gravite autour de l’école bilingue : les mères délurées organisent des garden-parties, les pères, souvent absents, suivent de loin les affaires de la vie courante, les couples se font et se défont tandis que les enfants préparent le spectacle de fin d’année. Tous ont pour coqueluche Sarah, la professeur de chant, célèbre pour ses comédies musicales extravagantes. Jusqu’au jour où, par accident, elle bouleversera leurs vies et la sienne, à jamais.
Ce roman lumineux, où l’émotion affleure à chaque page, explore la manière dont chacun, témoin, victime ou coupable, surmonte l’irrémédiable.
Comment continuer à vivre après avoir été victime ou coupable d’un terrible accident ? Avec justesse et empathie Emilie de Turckheim nous emporte dans ce roman humain qui se lit d’une traite.

L’ami
Tiffany Tavenier
Sabine Wespieser
C’est un samedi matin comme un autre, dans la maison isolée où Thierry, le narrateur, s’est installé des années auparavant. Il y vit avec sa femme Élisabeth, encore endormie ;
Leur fils habite loin désormais. Leur voisin Guy est rentré tard, sans doute a-t-il comme souvent roulé sans but avec sa fourgonnette. Thierry s’apprête à partir à la rivière, quand il entend des bruits de moteur.
La scène qu’il découvre en sortant est proprement impensable : cinq ou six voitures de police, une ambulance, des hommes casqués et vêtus de gilets pare-balles surgissant de la forêt. Un capitaine de gendarmerie lui demande de se coucher à terre le temps de l’intervention.
Tout va très vite, à peine l’officier montre-t-il sa stupeur lorsque Thierry s’inquiète pour Guy et Chantal, ses amis.
Thierry et Élisabeth, qui l’a rejoint, se perdent en conjectures.
En état de choc, ils apprennent l’arrestation de ces voisins si serviables, les seuls à la ronde, avec qui ils ont partagé tant de bons moments.
Tenu par le secret de son enquête, le capitaine Bretan ne leur donne aucune explication, il se contente de solliciter leur coopération. Au bout de vingt-quatre heures de sidération, réveillé à l’aube par des coups frappés à la porte, Thierry réalise enfin, filmé sur son seuil par une journaliste à l’affût de sensationnel, que Guy Delric est le tueur des fillettes qui disparaissent depuis des années.
Oscillant entre le déni, la colère et le chagrin, cet homme au naturel taciturne tente d’abord désespérément de retrouver le cours normal de sa vie : mais à l’usine, où il se réfugie tant bien que mal dans l’entretien des machines dont il a la charge, la curiosité de ses collègues lui pèse. Chez lui, la prostration d’Élisabeth le laisse totalement impuissant. Tandis que s’égrène sur toutes les chaînes de télévision la liste des petites victimes, il plonge dans ses carnets, à la recherche de détails qui auraient dû lui faire comprendre qui était véritablement son voisin. Les trajets nocturnes en fourgonnette, par exemple, ou cette phrase prononcée par Guy alors qu’ils observaient des insectes – un de leurs passe-temps favoris -, à propos de leur cruauté : « Tu sais quoi, Thierry, même le plus habile des criminels n’est pas capable d’une telle précision. » La descente aux enfers de cet être claquemuré en lui-même va se précipiter avec le départ de sa femme, incapable de continuer à vivre dans ce lieu hanté, cette maison loin de tout où elle avait accepté d’emménager avec réticence.
Tiffany Tavernier va dès lors accompagner son protagoniste dans un long et bouleversant voyage. Pour trouver une réponse à la question qui le taraude – comment avoir pu ignorer que son unique ami était l’incarnation du mal -, il n’a d’autre choix que de quitter son refuge, d’abandonner sa carapace. Thierry part sur les traces d’un passé occulté – une enfance marquée par la solitude et la violence, dont les seuls souvenirs heureux sont les séjours dans la ferme de son grand-père mort trop tôt.
Avec ce magnifique portrait d’homme, la romancière, subtile interprète des âmes tourmentées, continue d’interroger – comme elle l’avait fait dans Roissy (2018) -, l’infinie faculté de l’être humain à renaître à soi et au monde.
La vie de Thierry va basculer lorsqu’il découvre avec horreur ce qu’a commis son voisin et ami ! Un roman saisissant où Tiffany Tavernier arrive très justement à faire le portrait d’un homme en proie à l’effarement et les affres de l’âme.